À la recherche du mobilier liturgique du Bec

Tournée du juillet 2023

La suppression de la congrégation mauriste du Bec-Hellouin en 1792 et la décision de démolir l’abbatiale Notre-Dame en 1809 a entraîné la dispersion de son mobilier liturgique.

Le zèle du curé de Bernay sous l’Empire, accompagné de la diligence du préfet, a cependant permis le remploi d’une partie de son mobilier dans les églises alentours. Nous sommes donc partis sur les traces de ce mobilier liturgique assez méconnu, que l’on doit pour l’essentiel au frère Guillaume de La Tremblaye, frère convers du Bec.

Pour notre première étape, nous nous arrêtons à la Barre-en-Ouche, dans l’église paroissiale Saint-Gervais. Cette charmante église dont la nef simple se termine par un chevet plat où a été installé un beau retable tripartite du XVIII^e siècle, a été récemment restaurée. Il y règne une douce lumière, grâce au plafond d’un beau bleu chartrain, sur lequel jouent les variations lumineuses des vitraux modernes dessinés par Wanda-Marie Bon et exécutés par Cot-Dezande en 1960. Une belle poutre de gloire, réduite à sa plus simple expression, soutient un émouvant crucifix.

Les autels du transept constituent le principal objet de notre venue, puisqu’ils s’agit des anciens autels Saint-Jean-Baptiste (1691) et Saint-Michel (1694), autrefois placés dans les chapelles éponymes du déambulatoire de l’abbatiale du Bec (notices de la base caoa de l’Eure 27OM205 pour l’autel nord, 27OM206 pour l’autel sud). Les autels, en tombeau, ainsi que les sculptures qui habitent les niches ont probablement été refaits.

Mais leurs retables, eux, présentent de fortes similarités avec l’actuel maître-autel de l’église Sainte-Croix de Bernay, que l’on sait provenir du Bec. La première ressemblance tient à l’écriture faite de contrastes polychromes, grâce à l’utilisation de marbre du Languedoc pour les pilastres, les colonnes, la frise de l’entablement ou encore les caissons du stylobate, rehaussée par les dorures de certains éléments porteurs ou décoratifs, chapiteaux, larmiers et modillons à volutes. Les deux retables, à l’architecture similaire, laisse deviner une certaine unité des chapelles du déambulatoire du Bec, ainsi que leurs dimensions imposantes. Ces deux retables, à corps simple, se déploient largement autour de l’autel. Deux colonnes corinthiennes, avec projection des pilastres au mur, encadre une niche semi-circulaire, abritée par un imposant fronton cintré avançant légèrement. L’entablement se prolonge de part et d’autre de ce corps central, soutenu par deux pilastres. Deux décrochement de la corniche conduisent calmement l’entablement vers le mur de fond, tandis que le pan de bois, s’élargit brusquement au-dessus du stylobate, peut-être pour autrefois laisser se déployer une ancienne volute. [Voir d’autres photos]

Nous nous rendons ensuite à Bernay, dont l’église paroissiale Sainte-Croix abrite depuis 1812 l’ancien maître-autel de l’abbatiale du Bec. Il semblerait qu’une bonne part de l’aménagement du chœur abbatial, pavement compris, ait été réinstallé dans le sanctuaire de l’église bernaisienne. Le maître-autel est remarquable par les dimensions de sa table d’autel, longue de près de dix mètres, et par le baldaquin qui le surmonte, abritant une réplique de la Nativité sculptée par Anguier pour l’abbatiale parisienne du Val-de-Grâce. Trois gradins recouverts d’un pavement polychrome mènent à la large table d’autel, elle aussi faite de marbre rouge, avec en son centre un médaillon présentant l’Agneau aux sept sceaux. Le baldaquin, en forme de « demie-couronne », est soutenu par huit colonnes corinthiennes, dont six sont disposées en hémicycle. Au centre du baldaquin, la colombe du Saint-Esprit, dernier indice d’une suspense eucharistique, est entourée de guirlandes de nuées et de chérubins, sur la face interne de la coupole. Sur l’entablement des colonnes extérieures, deux anges adorateurs en bois doré ont un geste d’admiratif étonnement un peu grandiloquent. Ils répondent aux anges situés à l’extrémité du gradin sur lequel est adossé l’autel, sur des piédestaux épaulés de consoles. Sur les gradins de l’autel, le tabernacle devient un socle pour la crèche de l’Enfant Jésus, sculpté dans le marbre, tandis que les figures de la Vierge et de saint Joseph sont moulées en terre. [Voir d’autres photos]

Puis nous nous rendons à Brionne, dont l’église Saint-Martin renferme l’ancien autel de la Vierge de l’abbatiale du Bec (base caoa de l’Eure : 27OM8380), achevé en 1694. Seule la structure architecturale en a été conservée, puisqu’on a certainement remplacé la sculpture de la Vierge qui devait se trouver dans la niche pour s’adapter à la titulature à Saint-Martin du nouvel emplacement de l’autel. L’autel en tombeau, auquel on accède par un emmarchement, est adossé à un imposant retable architecturé. Il est constitué d’une niche concave rythmée par huit pilastres corinthiens soutenant un entablement sur lequel repose une demi-coupole à caissons ornés de rosaces et rinceaux. Trois chérubins somment l’agrafe du fronton semi-circulaire qui se découpe, tandis que deux pots-à-feu en acrotères surmontent les colonnes frontales. Les décrochement latéraux sont ornés de guirlandes, celles-là même qui courent entre les chapiteaux corinthiens du retable. Entre les pilastre de la niche, des ornements en bas reliefs de rinceaux et arbustes font de cette niche circulaire, qui abritait très certainement une sculpture en ronde-bosse de la Vierge, une véritable transposition tridimensionnelle d’une sacra conversazione renaissante. [Voir d’autres photos]

Enfin, comment ne pas achever cette tournée par un passage à l’abbaye du Bec-Hellouin elle-même ? Si l’abbatiale a bel et bien disparu – il n’en reste que quelques fondations au sol et des remplages sur le mur du cloître – les bâtiments monastiques, édifiés au XVIIIe siècle par les mauristes sont vaillamment parvenus jusqu’à nous. Nous avons ainsi pu passer par le cloître, calme et harmonieux, où les différents usages du lieu après la Révolution se lisent encore.

---

---